Les émissions télévisées de façon générale constituent un produit très particulier du marché : immatérielles, elles ne consistent pas pour autant en un service.

Les émissions dites « de flux » dans le milieu de la télévision sont les émissions de téléréalité, les magazines, les émissions de divertissement, les émissions de variété et les jeux.

Entre mars et juillet 2011, dans le cadre de sa réflexion sur les émissions de téléréalité, la Commission de réflexion sur l’évolution des programmes a réalisé un cycle de 24 auditions. Lors de ces auditions, des associations on fait entendre leurs craintes en ce qui concerne les valeurs véhiculées par ce type de formats télévisés. François Jost met en exergue ici un paradoxe, qui est que bien que ces émissions paraissent amorales, elles reposent sur un socle implicite de valeurs traditionnelles qui sont issues des contes ou encore des romans traditionnels.

Le succès de ce genre de formats télévisés est dû à plusieurs éléments, dont :

  • l’identification de la part du spectateur,
  • mais aussi la distanciation rassurante lors de situations humiliantes ou ridicules,
  • la confiance en les anonymes et leurs pairs,
  • les émotions changeantes véhiculées,
  • leur dimension sociale et leur symbolique « démocratique »,
  • le plaisir, bien qu’ambigu, que trouve le public à regarder ce genre d’émissions.

Bien qu’il ne s’agisse dans cet exemple que des émissions de téléréalité, cela soulève une réelle question en matière de standardisation et d’adaptation des émissions de divertissement télévisées, pour ce qui est des valeurs véhiculées.

Pour ce qui est des séries par exemple, on constate de nombreux exemples de séries rachetées par des pays étrangers de façon à en faire des « remakes ». Les Etats-Unis et l’Angleterres ont acheté les droits pour les séries françaises Hard et Les Revenants de Canal+ par exemple. On parlera ici de stratégie d’adaptation, qui est apparentée dans ce cas à de la création, à la différence de la stratégie de standardisation qui consisterait à simplement traduire la langue.

Un exemple de format télévisé ayant été adapté à plusieurs cultures différentes est l’émission connue sous le nom de « Koh-Lanta » en France, diffusée sur TF1. Bien qu’on connaisse souvent son équivalent américain « Survivor » créé en 2000, il est plus rare que l’on sache que l’émission d’origine était « Expédition Robinson », émission suédoise de 1997. Il est possible de comparer « Survivor » et « Koh-Lanta » sur un certain nombre d’éléments qui permettront de comprendre l’adaptation culturelle qui a eu lieu avec ce format.

Tout d’abord, la construction d’un épisode est la même : le résumé de l’épisode précédent, le générique, un point sur la situation des deux équipes (ou de l’équipe), une épreuve de confort, un nouveau point sur la situation, une épreuve d’immunité, un point avant le conseil, le conseil pendant lequel l’animateur pose quelques questions aux participants avant que ceux-ci ne votent, le dépouillement, et le départ de la personne désignée par le vote. Les deux émissions vont aussi utiliser le procédé qui consiste à interroger un concurrent sur un événement qui vient d’être présenté à l’écran, pour recueillir ses impressions.

En France cependant, on constate un ajout de signaux explicatifs : en plus des images, du son et de la musique, une voix-off décrira et réexpliquera tout ce qui est en train de se produire, mais sans ajouter aucun élément nouveau. Cette méthode peut donner une impression d’émission très redondante, là ou les réalisateurs de Survivor vont considérer qu’un simple montage d’images avec de la musique se suffit à lui-même. Il faut aussi noter que les montages sont beaucoup plus soignés dans l’émission américaine que dans l’émission française. On remarquera également la présence, toujours en France, de panneaux explicatifs qui apparaissent en bas de l’écran pour résumer la situation. Un autre élément, est l’absence de l’utilisation du nom des équipes par la voix-off, dans la version française : on parlera toujours des « jaunes » et des « rouges ». Dans la distribution aussi, on va pouvoir constater des différences : aux Etats-Unis, les participants vont avoir de fortes personnalités, de façon à donner aux spectateurs un spectacle sulfureux avec des personnalités antagonistes qui doivent cohabiter. Bien souvent, on pourrait penser qu’il ne s’agit que d’acteurs chargés de réaliser un véritable spectacle en parallèle de l’émission, en jouant des rôles de personnages fictionnels ; la mise en scène joue un rôle primordial. En France, on aura affaire non pas à des personnages mais à des personnes : les caractères sont plus discrets, et si la distribution cherche à mettre en contact des caractères forts et antagonistes, les réactions seront bien souvent plus mesurées et moins spectaculaires qu’en France. Enfin, si la récompense aux Etats-Unis est d’un million de dollars, en France elle ne sera que de 100 000 €, ce qui va inciter les participants à parler d’expérience humaine plus que de concours.

On peut donc constater des adaptations, propres à chaque culture, pour un même concept d’émission. Et il ne s’agit pas d’un exemple isolé, les émissions de télé crochet sont nombreuses à être importées et exportées d’une culture à l’autre, tout en subissant parfois des modifications, ou en appliquant un formats parfaitement standardisé (« La France a un incroyable talent » / « Britain’s got talent »).

Le choix du terrain d’investigation

Pour toutes ces raisons, le domaine des émissions de flux nous a paru être un domaine extrêmement riche en matière d’exemples de standardisation et d’adaptation à la culture locale. Le paysage audiovisuel des différents pays semble très varié, alors que le besoin pourrait sembler, au premier abord, standard et commun à toutes les cultures. D’autre part, les émissions télévisées sont des produits que presque tous les français regardent, et il nous a semblé intéressant d’étudier un produit s’adressant au grand public.

De plus, il s’est avéré qu’il s’agissait d’un terrain encore peu étudié dans la littérature en matière de stratégies d’import, et qu’il pouvait se révéler riche d’enseignements : confirme-til les affirmations présentes dans la littérature étudiée ?

Il nous a paru important de recentrer nos recherches sur un type d’émissions en particulier : il était impossible de traiter et les films, et les séries, et la téléréalité, et les magazines, et les émissions de variété, et les jeux. Nous avons donc choisi de traiter les émissions de jeux télévisés, de variété, et de téléréalité, aussi appelées « émissions de flux » ou « émissions de divertissement ». La frontière entre les différentes catégories est parfois fine, et il arrive qu’un programme ne soit pas spécifiquement de l’un ou l’autre type. Par conséquent, il nous a semblé judicieux de les traiter ensemble, tout en faisant la différence dans certaines questions lorsque cela paraissait pertinent, ou que les professionnels nous indiquaient des divergences à prendre en compte.

Synthèse de la première partie

Cette étude empirique repose donc sur une méthode qualitative, qui consiste à interroger huit professionnels du milieu audiovisuel au cours d’entretiens semi-directifs. Ces professionnels présentent des profils variés, tous en rapport avec la production, le choix, l’analyse ou la diffusion d’émissions de divertissement télévisées, dans le but d’identifier les facteurs impactant le choix de la stratégie d’internationalisation de ce type de produits. Les données ainsi collectées seront analysées de manière scientifique en suivant une méthode de codage (matrice disponible en annexe, page 194). Les deux parties suivantes présentent les résultats de ces recherches.

Cette étude empirique a été complétée par un questionnaire réalisé auprès de téléspectateurs, pour comparer les affirmations des professionnels à la réalité du marché. Le nombre réduit de questionnaires ne permet pas de garantir l’exactitude des données collectées. Cette partie de l’étude a simplement pour but de proposer d’autres pistes de réflexion. Les questionnaires ont été rapidement traités au moyen d’Excel, et les résultats sont disponibles dans la quatrième partie de ce chapitre.

 

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